Retour
à la Liste des Contes
LE CHANT MAGIQUE (Christine
Gamba)
Dans un
lointain pays du nord, quelque temps avant Noël, un
petit garçon vînt vivre dans le village où habitait
sa tante Hildegarde. Il s'appelait
Joël. Il avait perdu ses parents quand il était tout
petit. Il avait été envoyé en orphelinat car sa tante
- qui était sa seule famille - refusait de le garder.
Voici que
l'orphelinat dût fermer ses portes et que tous les enfants
durent être envoyés dans différents foyers. La tante
de Joël accepta à contrecour de le prendre.
Or, tout
le monde dans le village craignait tante Hildegarde.
Elle était très méchante et criait tout le temps après
tout le monde. Et surtout, elle n'aimait pas les enfants.
Elle avait perdu son mari très peu de temps après leur
mariage et n'avait pas pu avoir d'enfants. Elle devînt
très amère.
A l'école,
tout le monde se moquait de Joël parce qu'il était très
timide et parce qu'il était de petite taille. On le
surnommait "Minus". Aucun enfant ne voulait jouer avec
lui. En effet, les parents pensaient que sa tante était
une sorcière et interdisaient à leurs enfants de s'approcher
de Joël. En classe, personne ne voulait s'asseoir à
côté de lui.
Chez lui,
sa tante le grondait tout le temps et lui faisait faire
beaucoup de travail dans la maison. Cela le fatiguait
beaucoup et son travail en classe s'en ressentait. Il
ne pouvait faire ses devoirs que tard dans la nuit,
en cachette.
Sa maîtresse,
qui était très gentille, était très inquiète pour Joël.
Un jour, prenant son courage à deux mains, elle alla
trouver tante Hildegarde. Mais celle-ci refusa de la
recevoir et ne voulut même pas discuter. Elle lui claqua
la porte au nez.
Le lendemain,
la maîtresse parla avec douceur à Joël, le prenant en
pitié. Il lui raconta alors comment cela se passait
à la maison.
"Prépare
le petit déjeuner tout de suite", vociférait la tante
tous les matins en entrant dans la chambre de Joël pour
le réveiller. Joël sursautait chaque fois, mais, avec
le temps, il apprit à se lever juste avant le lever
du soleil. C'était un moment magique. Tout était calme.
Tante Hildegarde ronflait bruyamment et n'entendait
pas Joël sortir sur la pointe des pieds chercher des
petits pains tout chauds à la boulangerie en face. Il
s'était lié d'amitié avec le boulanger qui le réconfortait
en lui donnant quelques petits ballons tous les matins.
Tous les
soirs, après avoir rangé la cuisine, balayé et lavé
tout le sol du rez-de-chaussée et nettoyé la cheminée,
il allait se coucher. C'était bien tard. Là, seul dans
la nuit, il pleurait toutes les larmes de son cour.
Il rêvait d'avoir un ami. Il avait des conversations
imaginaires avec lui. Il lui racontait tous ses rêves,
tout ce qu'il aimait et tout ce qu'il détestait. Il
lui disait comment les enfants se moquaient de lui à
l'école et comment ils le fuyaient aussi. Il se plaignait
de sa méchante tante. Il se mettait alors à penser à
sa mère et à son père et pleurait encore plus fort.
Puis, un
peu apaisé, il faisait ses devoirs à la lueur d'une
bougie. Il était certes très fatigué après mais il ne
parvenait pas à trouver le sommeil.
Joël raconta
alors à sa maîtresse comment il s'amusait à faire des
ombres chinoises contre le mur à côté de son lit. Il
mettait en scène plein de personnages différents se
rencontrant dans des histoires peuplées de héros et
d'héroïnes. La vive imagination du jeune garçon impressionna
la maîtresse et elle ressentit un terrible sentiment
d'injustice face à la méchanceté de tante Hildegarde.
Mais cela lui donna une idée d'une surprise que pourrait
préparer Joël et qui enchanterait certainement tous
les enfants à la rentrée.
Le lendemain,
en effet, commençaient les vacances. On s'approchait
de Noël. Dehors il faisait très froid et il neigeait
beaucoup. Les chants de Noël apportaient une touche
de gaieté et de chaleur en contraste avec les rigueurs
hivernales. Sur la place de village, le marché de Noël
réjouissait les yeux et embaumait l'atmosphère d'un
voluptueux parfum de cannelle, d'anis et d'orange cuits
dans le vin chaud.
Joël regardait
avec envie les enfants jouer dans la neige. Il rêvait
de faire des batailles de boule de neige avec ses camarades.
Mais sa tante ne le laissait jamais sortir et personne
n'osait s'aventurer près de la maison de tante Hildegarde.
Pas même les chanteurs n'osaient frapper à la porte
de peur d'être chassés à coups de balais.
Le jour
de Noël, comme d'habitude, Joël se leva un peu avant
l'aube. Il ouvrit grand la fenêtre. Il neigeait abondamment.
A la lumière
de l'aube naissante, il aperçut les toits des maisons
et les arbres. Tout était recouvert d'un épais manteau
blanc. Cela réjouit Joël.
Le jeune
garçon prépara le petit déjeuner. Sa tante descendit
et grommela qu'il faisait froid. Sans attendre, Joël
alla rajouter du bois au feu qui crépitait dans la cheminée.
Soudain,
quelqu'un sonna à la porte. Joël sentit
son corps se glacer et regarda sa tante se crisper:
"Qui a le culot de nous déranger?" hurla-t-elle en s'avançant
vers la porte.
Elle ouvrit.
Devant elle se tenait un petit enfant qui lui sourit
instantanément. Cela faisait bien des années qu'elle
n'avait pas vu un enfant lui sourire: "Quelle audace!"
voulait-elle lancer au jeune garçon mais une sérénité
si grande se dégageait du visage du petit inconnu qu'elle
en resta bouche bée. Tante Hildegarde fût d'emblée captivée
par son regard si pur et si profond.
Le jeune
garçon se mit alors à chanter. Dès les premières paroles,
Joël fut ému tant le chant était beau et raisonnait
dans toute la maison, l'enveloppant d'une grande douceur.
Et cette voix, cette voix était extraordinaire. Fine
et profonde à la fois, si délicieusement mélodieuse
qu'elle pénétrait au fond des cours sans que l'on puisse
y résister. Mais ce fût surtout tante Hildegarde qui
en fût profondément bouleversée.
Une véritable
métamorphose se produit en elle. Toute la dureté de
son visage fondit comme de la cire. Ses traits s'adoucirent
et pour la première fois depuis des années, ses lèvres
s'abandonnèrent à un sourire timide.
Oh oui,
elle connaissait ce chant ! Elle l'avait appris de sa
grand-mère. Jadis, elle chantait aussi dans un cour
et ce chant ancien figurait parmi ses préférés. De l'entendre
à nouveau remua quelque chose de si profond en elle
qu'elle en fût emportée. Elle se mit à chanter et tout
son être vibrait. Des larmes coulaient de ses yeux et
sa voix tremblait d'émotion.
Le garçon
à la porte la regardait dans les yeux avec une profonde
compassion. Joël s'approcha de sa tante, ébloui. Sans
réfléchir, elle lui prit la main et la serra bien fort.
Combien
d'années s'étaient écoulées depuis qu'elle n'avait pas
entendu ce chant ? Resté enfoui en elle si longtemps,
elle pensait l'avoir oublié. Comme c'était bon de l'entendre
!
Elle se sentait délivrée enfin, elle revenait à la vie,
cela lui faisait du bien et du mal à la fois, comme
si son corps avait été engourdi par le froid et se réchauffait
maintenant devant le feu.
Sans lâcher
tante Hildegarde des yeux, le garçon demanda alors de
sa voix si douce: "Puis-je entrer ?" Sans prononcer
mot, la tante lui fit signe d'entrer. Un sentiment
de paix envahit toute la pièce dès qu'il entra.
Il se tourna
alors vers Joël : "Veux-tu
faire une bataille de boules de neige avec moi, Joël
?" Mais comment
savait-il son nom ? D'où venait cet enfant mystérieux
?
Comme accroché
à un aimant, Joël se leva et sortit avec son nouvel
ami. Ce fût
la bataille de boules de neige la plus mémorable qu'il
n'y ait jamais eu. Les deux garçons riaient à en pleurer
en se lançant la neige. Pour Joël, cela dura une éternité.
Les deux enfants hurlaient de bonheur en courant et
en sautant sur les collines à côté de l'école.
Puis, crépis
de blancs et à bout de souffle, Joël et l'enfant mystérieux
se jetèrent dans la neige. Les deux garçons scrutaient
le ciel d'où la neige continuait de tomber inlassablement.
"Comment t'appelles-tu?" s'aventura timidement Joël. "Gaspard"
répondit très brièvement son ami.
Et sans
attendre celui-ci ajouta: "Tu es très doué pour les
ombres chinoises." Mais comment
le savait-il ?
Joël ne
revenait pas que Gaspard savait autant de choses sur
lui mais quelque chose de plus fort que lui lui interdisait
de poser des questions à cet étrange garçon. Il avait
le sentiment de l'avoir déjà vu, comme s'il le connaissait
depuis toujours, comme s'il existait au delà de toute
parole.
Les cloches
de l'église se mirent à sonner. C'était midi. Gaspard
se leva d'un bond. "Je dois
partir. Au revoir mon ami. Sois heureux."
Sans pouvoir
répondre, Joël vit son ami s'éloigner des champs en
direction de la forêt. La neige tombait de plus en plus
fort. Soudain, Gaspard disparut derrière un épais rideau
blanc.
Joël rentra
chez lui. Une odeur merveilleuse se dégageait de la
cuisine. Il entra, hésitant. Tante Hildegarde chantonnait
et offrit généreusement un biscuit de pain d'épice à
son neveu.
Depuis
ce jour-là, tout changea dans la vie de Joël. Tante
Hildegarde ne le faisait plus travailler pendant des
heures à la maison. Elle se montrait douce et compréhensive
et racontait plein d'histoires à Joël. Il pouvait enfin
passer du temps à jouer dans sa chambre et elle le laissait
faire ses devoirs.
A l'école,
la maîtresse de Joël lui proposa de faire un spectacle
d'ombres chinoises. Il offrit à ses camarades un moment
merveilleux d'une rare beauté, il tortillait ses mains
dans tous les sens avec une grande dextérité. C'était
une histoire drôle et triste à la fois. L'histoire d'une
étrange amitié comme celle entre Joël et Gaspard. Toute
la classe fut impressionnée.
Plus jamais
on se moqua de lui et Joël se fît même plein d'amis.
Dans le
village, tous furent heureux et soulagés de voir Hildegarde
retrouver sa gentillesse d'antan. Elle se remit à chanter
dans la chorale du village. A Noël, elle éblouissait
toute l'assemblée réunie à l'église lorsqu'elle entonnait
d'une voix merveilleuse ce chant que Gaspard avait fait
revivre.
Joël ne
revit plus jamais son ami mystérieux et ceux à qui il
en parlait affirmaient ne jamais l'avoir vu. Tous se
souvinrent par contre du vent nouveau qui souffla sur
le village ce Noël-là.
|