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LES DEUX SAPINS
DE SAINTE-AURELIE A STRASBOURG D'après
Gérard Leser
Le
soir de Noël, un enfant pauvre allait de porte en porte,
il frappait et disait : Voulez-vous mes deux petits
sapins ? Vous y attacherez des boules d'or et des étoiles
de papier. C'est bien amusant pour les enfants.
Mais
à chaque maison, les gens lui répondaient : Il est
trop tard, il y a longtemps que les arbres de Noël sont
achetés !... Passe l'an prochain !
Et l'enfant
se désespérait, car il n'y avait pas de pain chez lui.
Son père était très vieux, sa mère malade, et les deux
autres enfants au berceau.
Après bien des demandes
et bien des réponses indifférentes ou dures, il se trouva
devant la maison d'Eidel le jardinier. A-t-on jamais
eu l'idée de vendre des sapins à l'homme dont c'est
le métier de les faire pousser ?
Le pauvre innocent
frappa et la grosse voix d'Eidel lui répondit : Qui
frappe à pareille heure ? L'enfant n'osa répondre. Mais
qui frappe chez moi quand je veux être en paix ?
reprit Eidel et ses sabots claquèrent sur le plancher.
 Il
ouvrit sa grande porte, et l'humble quémandeur aperçut
un arbre magnifique, tout rutilant, tout chargé de richesses
et qui jeta sa vive lueur jusque dans la rue déserte.
Et trois enfants assis près d'un bon feu regardaient
au foyer la dinde de Noël qui cuisait dans son jus. Qu'est-ce
que tu veux, petit ? demanda Eidel, tu as l'air d'un
amateur avec tes deux sapins rabougris ! L'enfant
se tenait tout triste parce qu'il comprenait que sa
dernière espérance s'était envolée Le froid entre
chez moi, reprit le jardinier. Parle vite ou je te ferme
la porte au nez !
C'était un homme qui
avait le ton bourru. Autant dire qu'il était bon.
Il regarda le déshérité qui avait l'âge de ses enfants,
et qui, pieds nus dans la neige, n'osait même pas lever
les yeux. Il parla d'une voix radoucie. Que veux-tu
? Je te donnerai suivant mon possible. Vendre mes
deux sapins, pour Noël. mais le vôtre est bien plus
beau. N'importe ! dit Eidel. Donne-les moi !
Et
il alla quérir une pièce d'or qu'il gardait en réserve
dans un tiroir. Ce que voyant, le pauvre petit ne
pouvait en croire ses yeux, et pensait que l'homme se
moquait de lui. Mais les enfants lui donnèrent chacun
une cuisse de la dinde, et la mère, dans un bol, une
part de bonne soupe chaude, et le chien aussi fut aimable
pour lui et lécha bonnement ses mains rougies par le
froid. Alors, il osa croire à sa joie, il remercia
du mieux qu'il put et rentra chez lui, heureux comme
une alouette au printemps.
Cependant
Eidel, qui n'aimait pas les attendrissements, jeta dans
un coin les deux sapins du pauvre, et se mit à table. Le
repas fut bon, la dinde bien cuite, le vin bien frais,
puis chacun s'en fut se coucher.
Le
lendemain matin, jour de Noël, les enfants d'Eidel se
battaient dans la neige, en attendant l'heure de la
messe, ils prirent les deux arbustes et par jeu, pour
imiter leur père, s'en furent les planter derrière l'église. Et
les cloches sonnèrent. La foule prit place dans la nef
et les bas-côtés. Les chants célébraient la gloire
du Sauveur des hommes, et le jardinier se disait qu'on
n'est jamais trop bon pour les enfants pauvres, puisqu'ils
sont les frères véritables de celui qui est né dans
une étable parce qu'on ne voulait de lui nulle part.
Mais quand
la messe fut dite, quand les cierges furent éteints,
l'encens dissipé, l'église déserte, la foule sur la
place cria au prodige. Deux sapins hauts comme le
clocher, aux troncs tout droits comme des mâts de navire,
aux branches vastes et lourdes, s'élevaient au ciel. Et
dans l'air pur de Noël, les oiseaux chantaient la gloire
des charitables : de ceux qui aiment leur prochain. Et
l'on vit la colombe d'un vitrail s'animer soudain, voler
au faîte de chaque sapin, battre les ailes par trois
fois et revenir prendre sa place au vitrail chrétien.
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