De tout temps les Chevaux ne sont nés pour les hommes. Lorsque le genre
humain de gland se contentait, Ane, Cheval, et Mule, aux forêts habitait ; Et l'on ne voyait point, comme au siècle où nous sommes, Tant de selles
et tant de bâts, Tant de harnois pour les combats, Tant de chaises, tant
de carrosses, Comme aussi ne voyait-on pas Tant de festins et tant de
noces. Or un Cheval eut alors différent Avec un Cerf plein de vitesse, Et ne pouvant l'attraper en courant, Il eut recours à l'Homme, implora
son adresse. L'Homme lui mit un frein, lui sauta sur le dos, Ne lui
donna point de repos Que le Cerf ne fût pris, et n'y laissât la vie ; Et
cela fait, le Cheval remercie L'Homme son bienfaiteur, disant : Je suis à
vous ; Adieu. Je m'en retourne en mon séjour sauvage. - Non pas cela,
dit l'Homme ; il fait meilleur chez nous : Je vois trop quel est votre
usage. Demeurez donc ; vous serez bien traité. Et jusqu'au ventre en la
litière.
Hélas ! que sert la bonne chère Quand on n'a pas la liberté
? Le Cheval s'aperçut qu'il avait fait folie ; Mais il n'était plus
temps : déjà son écurie Etait prête et toute bâtie. Il y mourut en
traînant son lien. Sage s'il eût remis une légère offense. Quel que soit
le plaisir que cause la vengeance, C'est l'acheter trop cher, que l'acheter
d'un bien Sans qui les autres ne sont rien. |