Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui, Qui souvent s'engeigne
soi-même. J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui : Il m'a
toujours semblé d'une énergie extrême. Mais afin d'en venir au dessein que
j'ai pris, Un rat plein d'embonpoint, gras, et des mieux nourris, Et qui
ne connaissait l'Avent ni le Carême, Sur le bord d'un marais égayait ses
esprits. Une Grenouille approche, et lui dit en sa langue : Venez me
voir chez moi, je vous ferai festin. Messire Rat promit soudain : Il
n'était pas besoin de plus longue harangue. Elle allégua pourtant les
délices du bain, La curiosité, le plaisir du voyage, Cent raretés à voir
le long du marécage : Un jour il conterait à ses petits-enfants Les
beautés de ces lieux, les moeurs des habitants, Et le gouvernement de la
chose publique Aquatique. Un point sans plus tenait le galand empêché :
Il nageait quelque peu ; mais il fallait de l'aide. La Grenouille à cela
trouve un très bon remède : Le Rat fut à son pied par la patte attaché ;
Un brinc de jonc en fit l'affaire. Dans le marais entrés, notre bonne
commère S'efforce de tirer son hôte au fond de l'eau, Contre le droit
des gens, contre la foi jurée ; Prétend qu'elle en fera gorge-chaude et
curée ; (C'était, à son avis, un excellent morceau). Déjà dans son
esprit la galande le croque. Il atteste les Dieux ; la perfide s'en moque.
Il résiste ; elle tire. En ce combat nouveau, Un Milan qui dans l'air
planait, faisait la ronde, Voit d'en haut le pauvret se débattant sur
l'onde. Il fond dessus, l'enlève, et, par même moyen La Grenouille et le
lien. Tout en fut ; tant et si bien, Que de cette double proie L'oiseau se donne au coeur joie, Ayant de cette façon A souper chair
et poisson.
La ruse la mieux ourdie Peut nuire à son inventeur ;
Et souvent la perfidie Retourne sur son auteur. |