Les grenouilles se lassant De l'état démocratique, Par leurs
clameurs firent tant Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique. Il leur
tomba du ciel un roi tout pacifique : Ce roi fit toutefois un tel bruit en
tombant, Que la gent marécageuse, Gent fort sotte et fort
peureuse, S'alla cacher sous les eaux, Dans les joncs, dans les
roseaux, Dans les trous du marécage, Sans oser de longtemps regarder au
visage Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau. Or c'était un
soliveau, De qui la gravité fit peur à la première Qui, de le voir
s'aventurant, Osa bien quitter sa tanière. Elle approcha, mais en
tremblant ; Une autre la suivit, une autre en fit autant : Il en vint une
fourmilière ; Et leur troupe à la fin se rendit familière Jusqu'à sauter
sur l'épaule du roi. Le bon sire le souffre, et se tient toujours
coi. Jupin en a bientôt la cervelle rompue : " Donnez-nous, dit ce peuple,
un roi qui se remue. " Le monarque des dieux leur envoie une grue, Qui
les croque, qui les tue, Qui les gobe à son plaisir ; Et grenouilles de se
plaindre, Et Jupin de leur dire : " Eh quoi ? votre désir A ses lois
croit-il nous astreindre ? Vous avez dû premièrement Garder votre
gouvernement ; Mais ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire Que votre
premier roi fût débonnaire et doux : De celui-ci contentez-vous, De peur
d'en rencontrer un pire." |