Deux compagnons pressés d'argent A leur voisin Fourreur vendirent La
peau d'un Ours encor vivant, Mais qu'ils tueraient bientôt, du moins à ce
qu'ils dirent. C'était le Roi des Ours au compte de ces gens. Le
Marchand à sa peau devait faire fortune. Elle garantirait des froids les
plus cuisants, On en pourrait fourrer plutôt deux robes qu'une.
Dindenaut prisait moins ses Moutons qu'eux leur Ours : Leur, à leur
compte, et non à celui de la Bête. S'offrant de la livrer au plus tard dans
deux jours, Ils conviennent de prix, et se mettent en quête, Trouvent
l'Ours qui s'avance, et vient vers eux au trot. Voilà mes gens frappés comme
d'un coup de foudre. Le marché ne tint pas ; il fallut le résoudre :
D'intérêts contre l'Ours, on n'en dit pas un mot. L'un des deux
Compagnons grimpe au faîte d'un arbre ; L'autre, plus froid que n'est un
marbre, Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent, Ayant
quelque part ouï dire Que l'Ours s'acharne peu souvent Sur un corps qui
ne vit, ne meut, ni ne respire. Seigneur Ours, comme un sot, donna dans ce
panneau. Il voit ce corps gisant, le croit privé de vie, Et de peur de
supercherie Le tourne, le retourne, approche son museau, Flaire aux
passages de l'haleine. C'est, dit-il, un cadavre ; Otons-nous, car il sent.
A ces mots, l'Ours s'en va dans la forêt prochaine. L'un de nos deux
Marchands de son arbre descend, Court à son compagnon, lui dit que c'est
merveille Qu'il n'ait eu seulement que la peur pour tout mal. Eh bien,
ajouta-t-il, la peau de l'animal ? Mais que t'a-t-il dit à l'oreille ?
Car il s'approchait de bien près, Te retournant avec sa serre. - Il
m'a dit qu'il ne faut jamais. Vendre la peau de l'Ours qu'on ne l'ait mis
par terre. |