Compère le Renard se mit un jour en frais, et retint à dîner commère la
Cigogne. Le régal fût petit et sans beaucoup d'apprêts : Le galant pour
toute besogne, Avait un brouet clair ; il vivait chichement. Ce brouet
fut par lui servi sur une assiette : La Cigogne au long bec n'en put
attraper miette ; Et le drôle eut lapé le tout en un moment. Pour se
venger de cette tromperie, A quelque temps de là, la Cigogne le prie. "Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis Je ne fais point cérémonie." A l'heure dite, il courut au logis De la Cigogne son hôtesse ; Loua très fort la politesse ; Trouva le dîner cuit à point : Bon
appétit surtout ; Renards n'en manquent point. Il se réjouissait à l'odeur
de la viande Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande. On
servit, pour l'embarrasser, En un vase à long col et d'étroite embouchure. Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ; Mais le museau du sire
était d'autre mesure. Il lui fallut à jeun retourner au logis, Honteux
comme un Renard qu'une Poule aurait pris, Serrant la queue, et portant bas
l'oreille. Trompeurs, c'est pour vous que j'écris : Attendez-vous à la
pareille.
Version
de Pierre Perret
Un renard généreux, une fois n'est pas coutume, Invita à becqueter commère la
Cigogne. Un méchant bouillon clair fait de piteux légumes Fut servi dans
un plat sans la moindre vergogne. Tandis que l'échassier essayait
vainement D'aspirer en ce plat si peu accomodant Le goupil se goinfrait en
lapant goulûment Il eût tôt fait d'assécher l'écuelle. Afin de se venger
de ce goujat, l'oiselle Le convia à son tour à un festin de rois: Du
hachis parmentier suivi d'un bavarois.. Et pourléchant déjà ses babines
gourmandes Le Renard remerciait en reniflant la viande. La cigoge
entendant se venger de bon droit Servit tout le repas au fond d'un vase
étroit. La rusée dégusta au fond de ce long pot La pâtée que jamais
n'atteignait le museau. Honteux comme un taureau Qu'a paumé ses deux
cornes, Le renard s'était fait rouler dans le
pop-corne.
Moralité: Trompeurs, si vous voulez cette farce
éviter Y'a qu'en brisant le vase que vous pourrez becqueter. |