Un Homme accumulait. On sait que cette
erreur Va souvent jusqu'à la fureur. Celui-ci ne songeait que Ducats et Pistoles.
Quand ces biens sont oisifs, je tiens
qu'ils sont frivoles. Pour sûreté de son Trésor, Notre Avare habitait un lieu dont Amphitrite
Défendait aux voleurs de toutes parts
l'abord. Là d'une volupté selon moi fort petite,
Et selon lui fort grande, il entassait
toujours : Il passait les nuits et les jours A compter, calculer, supputer sans relâche,
Calculant, supputant, comptant comme
à la tâche : Car il trouvait toujours du mécompte
à son fait. Un gros Singe plus sage, à mon sens,
que son maître, Jetait quelque Doublon toujours par la
fenêtre Et rendait le compte imparfait : La chambre, bien cadenassée, Permettait de laisser l'argent sur le
comptoir. Un beau jour dom Bertrand se mit dans
la pensée D'en faire un sacrifice au liquide manoir.
Quant à moi, lorsque je compare Les plaisirs de ce Singe à ceux de cet
Avare, Je ne sais bonnement auxquels donner
le prix. Dom Bertrand gagnerait près de certains
esprits ; Les raisons en seraient trop longues
à déduire. Un jour donc l'animal, qui ne songeait
qu'à nuire, Détachait du monceau, tantôt quelque
Doublon, Un Jacobus, un Ducaton, Et puis quelque Noble à la rose ; Eprouvait son adresse et sa force à jeter
Ces morceaux de métal qui se font souhaiter
Par les humains sur toute chose. S'il n'avait entendu son Compteur à la
fin Mettre la clef dans la serrure, Les Ducats auraient tous pris le même
chemin, Et couru la même aventure ; Il les aurait fait tous voler jusqu'au
dernier Dans le gouffre enrichi par maint et
maint naufrage. Dieu veuille préserver maint et maint
Financier Qui n'en fait pas meilleur usage. |