LE CERF ET LA VIGNE Un cerf, à la faveur d'une vigne
fort haute, Et telle qu'on en voit en de certains climats, S'étant
mis à couvert et sauvé du trépas, Les veneurs, pour ce coup,
croyaient leurs chiens en faute; Ils les rappellent donc. Le
cerf, hors de danger, Broute sa bienfaitrice : ingratitude extrême
! On l'entend, on retourne, on le fait déloger : Il vient
mourir en ce lieu même. "J'ai mérité, dit-il, ce juste châtiment
: Profitez-en, ingrats." Il tombe en ce moment. La meute
en fait curée : il lui fut inutile De pleurer aux veneurs à sa
mort arrivés. Vraie image de ceux qui profanent l'asile Qui
les a conservés.
 LE
CERF MALADE En pays pleins de cerfs, un cerf tomba malade. Incontinent
maint camarade Accourt à son grabat le voir, le secourir, Le
consoler du moins multitude importune. « Eh! messieurs, laissez-moi
mourir. Permettez qu'en forme commune La Parque m'expédie
; et finissez vos pleurs.» Point du tout les consolateurs De
ce triste devoir tout au long s'acquittèrent, Quand il plut à
Dieu s'en allèrent Ce ne fut pas sans boire un coup, C'est
à dire sans prendre un droit de pâturage. Tout se mit à brouter
les bois du voisinage. La pitance du cerf en déchut de beaucoup. Il
ne trouva plus rien à frire D'un mal il tomba dans un pire, Et
se vit réduit à la fin A jeûner et mourir de faim. Il en
coûte à qui vous réclame, Médecins du corps et de l'âme! Ô
temps ! ô moeurs ! j'ai beau crier, Tout le monde se fait payer.
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LE CERF SE VOYANT DANS L'EAU Dans le cristal d'une
fontaine Un cerf se mirant autrefois Louait la beauté de son
bois, Et ne pouvait qu'avec peine, Souffrir ses jambes de
fuseaux, Dont il voyait l'objet se perdre dans les eaux. «Quelle
proportion de mes pieds à ma tête ? Disait-il en voyant leur
ombre avec douleur : Des taillis les plus hauts mon front atteint
le faîte ; Mes pieds ne me font point d'honneur.» Tout en
parlant de la sorte, Un limier le fait partir. Il tâche à
se garantir; Dans les forêts il s'emporte. Son bois, dommageable
ornement, L'arrêtant à chaque moment, Nuit à l'office que
lui rendent Ses pieds, de qui ses jours dépendent. Il se
dédit alors, et maudit les présents Que le Ciel lui fait tous
les ans. Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile
; Et le beau souvent nous détruit Ce cerf blâme ses pieds,
qui le rendent agile ; Il estime un bois qui lui nuit.
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