LA LIONNE ET L'OURSE Mère lionne avait perdu son fan
: Un chasseur l'avait pris. La pauvre infortunée Poussait
un tel rugissement Que tout la forêt était importunée. La
nuit ni son obscurité, Son silence et ses autres charmes, De
la reine des bois n'arrêtaient les vacarmes : Nul animal n'était
du sommeil visité. L'ourse enfin lui dit :« Ma commère, Un
mot sans plus : tous les enfants Qui sont passés entre vos dents N'avaient-ils
ni père ni mère ? - Ils en avaient. - S'il est ainsi, Et qu'aucun
de leur mort n'ait nos têtes rompues, Si tant de mères se sont
tues, Que ne vous taisez-vous aussi ? - Moi, me taire ! moi,
malheureuse ? Ah ! j'ai perdu mon fils! il me faudra traîner Une
vieillesse douloureuse ! - Dites-moi, qui vous force à vous y
condamner ? - Hélas ! c'est le destin, qui me hait. » Ces paroles Ont
été de tout temps en la bouche de tous. Misérables humains,
ceci s'adresse à vous. Je n'entends résonner que des plaintes
frivoles. Quiconque en pareil cas, se croit haï des cieux, Qu'il
considère Hécube, il rendra grâce aux dieux.
 L'OURS
ET LES 2 COMPAGNONS Deux compagnons, pressés d'argent, A
leur voisin fourreur vendirent La peau d'un ours encor vivant, Mais
qu'ils tueraient bientôt, du moins à ce qu'ils dirent. C'était
le roi des ours, au compte de ces gens. Le marchand à sa peau
devait faire fortune ; Elle garantirait des froids les plus cuisants
: On en pourrait fourrer plutôt deux robes qu'une. Dindenaut
prisait moins ses moutons qu'eux leur ours : Leur, à leur compte,
et non à celui de la bête. S'offrant de la livrer au plus tard
dans deux jours, Ils conviennent de prix, et se mettent en quête, Trouvent
l'ours qui s'avance et vient vers eux au trot. Voilà mes gens
frappés comme d'un coup de foudre. Le marché ne tint pas, il
fallut le résoudre : D'intérêts contre l'ours on n'en dit pas
un mot. L'un des deux compagnons grimpe au faîte d'un arbre ; L'autre,
plus froid que n'est un marbre, Se couche sur le nez, fait le
mort, tient son vent ; Ayant quelque part ouï dire Que l'ours
s'acharne peu souvent Sur un corps qui ne vit, ne meut, ni ne
respire. Seigneur Ours, comme un sot, donna dans ce panneau . Il
voit ce corps gisant, le croit privé de vie ; Et, de peur de
supercherie, Le tourne, le retourne, approche son museau, Flaire
aux passages de l'haleine. «C'est, dit-il, un cadavre ; ôtons-nous,
car il sent.» A ces mots, l'ours s'en va dans la forêt prochaine. L'un
de nos deux marchands de son arbre descend, Court à son compagnon,
lui dit que c'est merveille Qu'il n'ait eu seulement que la peur
pour tout mal. «Eh bien ! ajouta-t-il, la peau de l'animal ? Mais
que t'a-t-il dit à l'oreille ? Car il t'approchait de bien près, Te
retournant avec sa serre. - Il m'a dit qu'il ne faut jamais Vendre
la peau de l'ours qu'on ne l'ait mis par terre.»
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L'OURS ET L'AMATEUR DES JARDINS Certain ours montagnard,
ours à demi léché, Confiné par le Sort dans un bois solitaire, Nouveau
Bellérophon vivait seul et caché. Il fût devenu fou : la raison
d'ordinaire N'habite pas longtemps chez les gens séquestrés. Il
est bon de parler, et meilleur de se taire ; Mais tous deux sont
mauvais alors qu'ils sont outrés. Nul animal n'avait affaire Dans
les lieux que l'ours habitait : Si bien que, tout ours qu'il
était, Il vint à s'ennuyer de cette triste vie. Pendant qu'il
se livrait à la mélancolie, Non loin de là certain vieillard S'ennuyait
aussi de sa part. Il aimait les jardins, était prêtre de Flore, Il
l'était de Pomone encore. Ces deux emplois sont beaux ; mais
je voudrais parmi Quelque doux et discret ami : Les jardins
parlent peu, si ce n'est dans mon livre : De façon que, lassé
de vivre Avec des gens muets, notre homme, un beau matin, Va
chercher compagnie et se met en campagne. L'ours, porté d'un
même dessein, Venait de quitter sa montagne. Tous deux, par
un cas surprenant, Se rencontrent en un tournant. L'homme
eut peur : mais comment esquiver ? et que faire ? Se tirer en
Gascon d'une semblable affaire Est le mieux : il sut donc dissimuler
sa peur. L'ours très mauvais complimenteur, Lui dit :« Viens-t'en
me voir.» L'autre reprit :« Seigneur, Vous voyez mon logis ;
si vous me vouliez faire Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre
repas, J'ai des fruits, j'ai du lait : ce n'est peut-être pas De
Nosseigneurs les ours le manger ordinaire ; Mais j'offre ce que
j'ai.» L'ours accepte ; et d'aller. Les voilà bons amis avant
que d'arriver ; Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble
: Et bien qu'on soit, à ce qu'il semble, Beaucoup mieux seul
qu'avec des sots, Comme l'ours en un jour ne disait pas deux
mots, L'homme pouvait sans bruit vaquer à son ouvrage. L'ours
allait à la chasse, apportait du gibier ; Faisait son principal
métier D'être un bon émoucheur, écartait du visage De son
ami dormant ce parasite ailé Que nous avons mouche appelé. Un
Jour que le vieillard dormait d'un profond somme, Sur le bout
de son nez une allant se placer Mit l'ours au désespoir ; il
eut beau la chasser. «Je t'attraperai bien, dit-il, et voici
comme.» Aussitôt fait que dit : le fidèle émoucheur Vous empoigne
un pavé, le lance avec roideur, Casse la tête à l'homme en écrasant
la mouche ; Et non moins bon archer que mauvais raisonneur, Raide
mort étendu sur la place il le couche. Rien n'est si
dangereux qu'un ignorant ami ; Mieux vaudrait un sage ennemi.
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