L'AIGLE ET LA PIE L'aigle, reine des airs, avec
Margot la pie, Différentes d'humeur, de langage et d'esprit, Et
d'habit, Traversaient un bout de prairie. Le hasard
les assemble en un coin détourné. L'agasse eut peur; mais l'aigle,
ayant fort bien dîné, La rassure, et lui dit: « Allons
de compagnie ; Si le maître des dieux assez souvent s'ennuie, Lui
qui gouverne l'univers, J'en puis bien faire autant, moi qu'on
sait qui le sers. Entretenez-moi donc, et sans cérémonie. » Caquet-bon-bec
alors de jaser au plus dru, Sur ceci, sur cela, sur tout. L'homme
d'Horace, Disant le bien, le mal à travers champs, n'eût su Ce
qu'en fait de babil y savait notre agasse. Elle offre d'avertir
de tout ce qui se passe, Sautant, allant de place en place, Bon
espion, Dieu sait. Son offre ayant déplu, L'aigle lui dit
tout en colère : «Ne quittez point votre séjour, Caquet-bon
-bec, mamie ; adieu ; je n'ai que faire D'une babillarde
à ma cour : C'est un fort méchant caractère.» Margot
ne demandait pas mieux. Ce n'est pas ce qu'on croit que d'entrer
chez les dieux: Cet honneur a souvent de mortelles angoisses. Rediseurs,
espions, gens à l'air gracieux, Au coeur tout différent, s'y
rendent odieux, Quoique ainsi que la pie il faille dans ces lieux Porter
habit de deux paroisses.
 L'AIGLE,
LA LAIE ET LA CHATTE L'Aigle avait ses petits au haut d'un
arbre creux, La laie au pied, la chatte entre les deux, Et
sans s'incommoder, moyennant ce partage, Mères et nourrissons
faisaient leur tripotage. La chatte détruisit par sa fourbe l'accord; Elle
grimpa chez l'aigle et lui dit:" Notre mort (Au moins de
nos enfants, car c'est tout un aux mères) Ne tardera possible
guères. Voyez-vous à nos pieds fouir incessamment Cette maudite
laie, et creuser une mine? C'est pour déraciner le chêne assurément, Et
de nos nourrissons attirer la ruine: L'arbre tombant, ils seront
dévorés; Qu'ils s'en tiennent pour assurés. S'il m'en restait
un seul, j'adoucirais ma plainte." Au partir de ce lieu,
qu'elle remplit de crainte, La perfide descend tout droit A
l'endroit Où la laie était en gésine. « Ma bonne amie et ma
voisine, Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis: L'aigle,
si vous sortez, fondra sur vos petits. Obligez-moi de n'en rien
dire; Son courroux tomberait sur moi." Dans cette autre
famille ayant semé l'effroi, La chatte en son trou se retire. L'aigle
n'ose sortir, ni pourvoir aux besoins De ses petits; la laie
encore moins: Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins
Ce doit être celui d'éviter la famine. A demeurer chez soi
l'une et l'autre s'obstine, Pour secourir les siens dedans l'occasion: L'oiseau
royal, en cas de mine; La laie en cas d'irruption. La faim
détruisit tout, il ne resta personne De la gent marcassine et
de la gent aiglonne Qui n'allât de vie à trépas: Grand renfort
pour messieurs les chats. Que ne sait point ourdir une langue
traîtresse Par sa pernicieuse adresse? Des malheurs qui sont
sortis De la boîte de Pandore, Celui qu'à meilleur droit tout
l'univers abhorre, C'est la fourbe, à mon avis.
 LE
CORBEAU VOULANT IMITER L'AIGLE L'Oiseau de Jupiter enlevant
un Mouton, Un Corbeau, témoin de l'affaire, Et plus faible
de reins, mais non pas moins glouton, En voulut sur l'heure autant
faire. Il tourne à l'entour du troupeau, Marque entre cent
Moutons le plus gras, le plus beau, Un vrai Mouton de sacrifice On
l'avait réservé pour la bouche des Dieux. Gaillard Corbeau disait,
en le couvant des yeux Je ne sais qui fut ta nourrice ; Mais
ton corps me paraît en merveilleux état Tu me serviras de pâture Sur
l'animal bêlant à ces mots il s'abat. La moutonnière créature Pesait
plus qu'un fromag ; outre que sa toison Etait d'une épaisseur
extrême, Et mêlée à peu près de la même façon Que la barbe
de Polyphème. Elle empêtra si bien les serres du Corbeau, Que
le pauvre Animal ne put faire retraite. Le Berger vient, le prend,
l'encage bien et beau Le donne à ses enfants pour servir d'amusette. Il
faut se mesurer; la conséquence est nette Mal prend aux volereaux
de faire les voleurs. L'exemple est un dangereux leurre Tous
les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs ; Où la Guêpe
a passé, le Moucheron demeure.
 LE
MILAN, LE ROI ET LE CHASSEUR Comme les dieux sont bons, ils
veulent que les rois Le soient aussi : c'est l'indulgence
Qui fait le plus beau de leurs droits, Non les douceurs de la
vengeance : Prince, c'est votre avis. On sait que le courroux S'éteint
en votre coeur sitôt qu'on l'y voit naître. Achille, qui du sien
ne put se rendre maître, Fut par là moins héros que vous. Ce
titre n'appartient qu'à ceux d'entre les hommes Qui, comme en
l'âge d'or, font cent biens ici-bas. Peu de grands sont nés tels
en cet âge où nous sommes : L'univers leur sait gré du mal qu'ils
ne font pas. Loin que vous suiviez ces exemples, Mille actes
généreux vous promettent des temples. Apollon, citoyen de ces
augustes lieux Prétend y célébrer votre nom sur sa lyre. Je
sais qu'on vous attend dans le palais des dieux : Un siècle de
séjour doit ici vous suffire. Hymen veut séjourner tout
un siècle chez vous. Puissent ses désirs les plus doux Vous
composer des destinées Par ce temps à peine bornées ! Et la
princesse et vous n'en méritez pas moins. J'en prends ses charmes
pour témoins ; Pour témoins j'en prends les merveilles Par
qui le ciel, pour vous prodigue en ses présents, D'en qualités
qui n'ont qu'en vous seul leurs pareilles Voulut orner vos jeunes
ans. Bourbon de son esprit ces grâces assaisonne : Le Ciel
joignit en sa personne Ce qui sait se faire estimer A ce qui
sait se faire aimer: Il ne m'appartient pas d'étaler votre joie; Je
me tais donc, et vais rimer Ce que fit un oiseau de proie. Un
milan, de son nid antique possesseur, Étant pris vif par un chasseur, D'en
faire au prince un don cet homme se propose. La rareté du fait
donnait prix à la chose. L'oiseau, par le chasseur humblement
présenté, Si ce conte n'est apocryphe, Va tout droit imprimer
sa griffe Sur le nez de Sa Majesté. - Quoi! sur le nez du
roi! - Du roi même en personne. - Il n'avait donc alors ni sceptre
ni couronne? - Quand il en aurait eu, ç'aurait été tout un : Le
nez royal fut pris comme un nez du commun. Dire des courtisans
les clameurs et la peine Serait se consumer en efforts impuissants. Le
roi n'éclata point : les cris sont indécents A la majesté souveraine. L'oiseau
garda son poste : on ne put seulement Hâter son départ d'un moment. Son
maître le rappelle, et crie, et se tourmente, Lui présente le
leurre, et le poing ; mais en vain. On crut que jusqu'au lendemain Le
maudit animal à la serre insolente Nicherait là malgré le bruit, Et
sur le nez sacré voudrait passer la nuit. Tâcher de l'en tirer
irritait son caprice. Il quitte enfin le roi qui dit:" Laissez
aller Ce milan et celui qui m'a cru régaler. Ils se sont acquittés
tous deux de leur office, L'un en milan, et l'autre en citoyen
des bois: Pour moi, qui sais comment doivent agir les rois, Je
les affranchis du supplice." Et la cour d'admirer. Les courtisans
ravis Élèvent de tels faits, par eux si mal suivis : Bien
peu, même des rois, prendraient un tel modèle ; Et le veneur
l'échappa belle, Coupable seulement, tant lui que l'animal, D'ignorer
le danger d'approcher trop du maître. Ils n'avaient appris à
connaître Que les hôtes des bois : était-ce un si grand mal ? Pilpay
fait du Gange arriver l'aventure . Là, nulle humaine créature Ne
touche aux animaux pour leur sang épancher. Le roi même ferait
scrupule d'y toucher. " Savons-nous, disent-ils, si cet
oiseau de proie N'était point au siège de Troie? Peut-être
y tint-il lieu d'un prince ou d'un héros Des plus huppés et des
plus hauts : Ce qu'il fut autrefois il pourra l'être encore. Nous
croyons, après Pythagore, Qu'avec les animaux de forme nous changeons, Tantôt
milans, tantôt pigeons, Tantôt humains, puis volatiles, Ayant
dans les airs leurs familles." Comme l'on conte en deux
façons L'accident du chasseur, voici l'autre manière: Un certain
fauconnier ayant pris, ce dit-on, A la chasse un milan (ce qui
n'arrive guère), En voulut au roi faire un don, Comme de chose
singulière. Ce cas n'arrive pas quelquefois en cent ans; C'est
le non plus ultra de la fauconnerie. Ce chasseur perce donc un
gros de courtisans, Plein de zèle, échauffé, s'il le fut de sa
vie. Par ce parangon des présents Il croyait sa fortune faite: Quand
l'animal porte-sonnette , Sauvage encore et tout grossier, Avec
ses ongles tout d'acier, Prend le nez du chasseur, happe le pauvre
sire. Lui de crier ; chacun de rire. Monarque et courtisans.
Qui n'eût ri? Quant à moi, Je n'en eusse quitté ma part pour
un empire. Qu'un pape rie, en bonne foi, Je ne l'ose assurer,
mais je tiendrais un roi Bien malheureux, s'il n'osait rire : C'est
le plaisir des dieux. Malgré son noir sourcil, Jupiter et le
peuple immortel rit aussi. Il en fit des éclats, à ce que dit
l'histoire, Quand Vulcain, clopinant, lui vint donner à boire. Que
le peuple immortel se montrât sage ou non, J'ai changé mon sujet
avec juste raison ; Car, puisqu'il s'agit de morale, Que nous
eût du chasseur l'aventure fatale Enseigné de nouveau? L'on
a vu de tout temps Plus de sots fauconniers que de rois
indulgents.
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L'AIGLE ET LE HIBOU L'aigle et le chat-huant leurs
querelles cessèrent, et firent tant qu'ils s'embrassèrent. L'un
jura foi de roi, l'autre foi de hibou, Qu'ils ne se goberaient
leurs petits peu ni prou. «Connaissez-vous les miens ? dit l'oiseau
de Minerve. - Non, dit l'aigle. - Tant pis, reprit le triste
oiseau : Je crains en ce cas pour leur peau : C'est hasard
si je les conserve. Comme vous êtes roi, vous ne considérez Qui
ni quoi : rois et dieux mettent, quoi qu'on leur die, Tout en
même catégorie. Adieu mes nourrissons, si vous les rencontrez. -
Peignez-les-moi, dit l'aigle, ou bien me les montrez : Je n'y
toucherai de ma vie.» Le hibou repartit :«Mes petits sont mignons, Beaux,
bien faits, et jolis sur tous leurs compagnons : Vous les reconnaîtrez
sans peine à cette marque. N'allez pas l'oublier; retenez-la
si bien Que chez moi la maudite Parque N'entre point par votre
moyen.» Il avint qu'au hibou Dieu donna géniture. De façon
qu'un beau soir qu'il était en pâture, Notre aigle aperçut d'aventure, Dans
les coins d'une roche dure, Ou dans les trous d'une masure (Je
ne sais pas lequel des deux), De petits monstres fort hideux, Rechignés,
un air triste, une voix de Mégère. «Ces enfants ne sont pas,
dit l'aigle, à notre ami. Croquons-les.» Le galant n'en fit pas
à demi : Ses repas ne sont point repas à la légère. Le hibou,
de retour, ne trouve que les pieds De ses chers nourrissons,
hélas ! pour toute chose. Il se plaint; et les dieux sont par
lui suppliés De punir le brigand qui de son deuil est cause. Quelqu'un
lui dit alors : «N'en accuse que toi, Ou plutôt la commune
loi Qui veut qu'on trouve son semblable Beau, bien fait, et
sur tous aimable. Tu fis de tes enfants à l'aigle ce portrait
: En avaient-ils le moindre trait ?»
 L'AIGLE
ET L'ESCARBOT L'aigle donnait la chasse à maître Jean Lapin, Qui
droit à son terrier s'enfuyait au plus vite. Le trou de l'escarbot
se rencontre en chemin. Je laisse à penser si ce gîte Etait
sûr ; mais où mieux ? Jean Lapin s'y blottit. L'aigle fondant
sur lui nonobstant cet asile, L'escarbot intercède et dit : «
Princesse des oiseaux, il vous est fort facile D'enlever malgré
moi ce pauvre malheureux ; Mais ne me faites pas cet affront,
je vous prie ; Et puisque Jean Lapin vous demande la vie, Donnez-la-lui,
de grâce, ou l'ôtez à tous deux : C'est mon voisin, c'est mon
compère. » L'oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot, Choque
de l'aile l'escarbot, L'étourdit, l'oblige à se taire, Enlève
Jean Lapin. L'escarbot indigné Vole au nid de l'oiseau, fracasse
en son absence, Ses oeufs, ses tendres oeufs, sa plus douce espérance: Pas
un seul ne fut épargné. L'aigle étant de retour et voyant ce
ménage, Remplit le ciel de cris, et, pour comble de rage, Ne
sait sur qui venger le tort qu'elle a souffert. Elle gémit en
vain, sa plainte au vent se perd. Il fallut pour cet an vivre
en mère affligée. L'an suivant, elle mit son nid en lieu plus
haut. L'escarbot prend son temps, fait faire aux oeufs le saut. La
mort de Jean lapin derechef est vengée. Ce second deuil fut tel,
que l'écho de ces bois N'en dormit de plus de six mois . L'oiseau
qui porte Ganymède Du monarque des dieux enfin implore l'aide, Dépose
en son giron ses oeufs, et croit qu'en paix Ils seront dans ce
lieu, que pour ses intérêts Jupiter se verra contraint de les
défendre : Hardi qui les irait là prendre. Aussi ne les y
prit-on pas. Leur ennemi changea de note, Sa la robe du dieu
fit tomber une crotte ; Le dieu la secouant jeta les oeufs à
bas. Quand l'aigle sut l'inadvertance, Elle menaça Jupiter D'abandonner
sa cour, d'aller vivre au désert, De quitter toute dépendance, Avec
mainte autre extravagance. Le pauvre Jupiter se tut: Devant
son tribunal l'escarbot comparut, Fit sa plainte, et conta l'affaire. On
fit entendre à l'aigle enfin qu'elle avait tort. Mais les deux
ennemis ne voulant point d'accord, Le monarque des dieux s'avisa,
pour bien faire, De transporter le temps où l'aigle fait l'amour En
une autre saison, quand la race escarbote Est en quartier d'hiver,
et comme la marmotte, Se cache et ne voit point le jour.
 LE
FAUCON ET LE CHAPON Une traîtresse voix bien souvent vous
appelle; Ne vous pressez donc nullement : Ce n'était pas un
sot, non, non, et croyez-m'en, Que le chien de Jean de Nivelle. Un
citoyen du Mans, chapon de son métier, Etait sommé de comparaître Par
devant les lares du maître Au pied d'un tribunal que nous nommons
foyer. Tous les gens lui criaient, pour déguiser la chose, «
Petit, petit, petit !» mais, loin de s'y fier, Le Normand et
demi laissait les gens crier. « Serviteur, disait-il ; votre
appât est grossier : On ne m'y tient pas, et pour cause.» Cependant
un faucon sur sa perche voyait Notre Manceau qui s'enfuyait : Les
chapons ont en nous fort peu de confiance, Soit instinct, soit
expérience. Celui-ci, qui ne fut qu'avec peine attrapé, Devait,
le lendemain, être d'un grand soupé, Fort à l'aise en un plat,
honneur dont la volaille Se serait passée aisément. L'oiseau
chasseur lui dit : « Ton peu d'entendement Me rend tout étonné.
Vous n'êtes que racaille, Gens grossiers, sans esprit, à qui
l'on n'apprend rien. Pour moi, je sais chasser, et revenir au
maître. Le vois-tu pas à la fenêtre ? Il t'attend : es-tu
sourd ? Je n'entends que trop bien, Repartit le chapon ; mais
que me veut-il dire ? Et ce beau cuisinier armé d'un grand couteau
? Reviendrais-tu pour cet appeau ? Laisse-moi fuir, cesse
de rire De l'indocilité qui me fait envoler Lorsque d'un ton
si doux on s'en vient m'appeler. Si tu voyais mettre à la broche Tous
les jours autant de faucons Que j'y vois mettre de chapons, Tu
ne me ferais pas un semblable reproche.»
 LE
MILAN ET LE ROSSIGNOL Après que le milan, manifeste voleur, Eut
répandu l'alarme en tout le voisinage, Et fait crier sur lui
les enfants du village, Un rossignol tomba dans ses mains par
malheur. Le héraut du printemps lui demande la vie. « Aussi
bien, que manger en qui n'a que le son ? Ecoutez plutôt ma chanson
: Je vous raconterai Térée et son envie, - Qui, Térée ? Est-ce
un mets propre pour les milans ? - Non pas ; c'était un roi dont
les feux violents Me firent ressentir leur ardeur criminelle. Je
m'en vais vous en dire une chanson si belle Qu'elle vous ravira
: mon chant plaît à chacun. » Le milan alors lui réplique : «
Vraiment, nous voici bien ; lorsque je suis à jeun, Tu me viens
parler de musique. - J'en parle bien aux rois. - Quand un roi
te prendra, Tu peux lui conter ces merveilles. Pour un milan,
il s'en rira : Ventre affamé n'a point d'oreilles. »
 LES
VAUTOURS ET LES PIGEONS Mars autrefois mit tout l'air en
émute. Certain sujet fit naître la dispute Chez les oiseaux,
non ceux que le Printemps Mène à sa cour, et qui, sous la feuillée, Par
leur exemple et leurs sons éclatants, Font que Vénus est en
nous réveillée; Ni ceux encor que la mère d'Amour Met à son
char ; mais le peuple vautour, Au bec retors, à la tranchante
serre, Pour un chien mort se fit, dit-on, la guerre. Il plut
du sang: je n'exagère point. Si je voulais conter de point en
point Tout le détail, je manquerais d'haleine. Maint chef
périt, maint héros expira; Et sur son roc Prométhée espéra De
voir bientôt une fin à sa peine. C'était plaisir d'observer
leurs efforts; C'était pitié de voir tomber les morts. Valeur,
adresse, et ruses, et surprises, Tout s'employa. Les deux troupes,
éprises D'ardent courroux, n'épargnaient nuls moyens De peupler
l'air que respirent les ombres: Tout élément remplit de citoyens
Le vaste enclos qu'ont les royaumes sombres. Cette fureur
mit la compassion Dans les esprits d'une autre nation Au
col changeant, au coeur tendre et fidèle. Elle employa sa médiation
Pour accorder une telle querelle: Ambassadeurs par le peuple
pigeon Furent choisis, et si bien travaillèrent Que les
vautours plus ne se chamaillèrent. Ils firent trève; et la paix
s'ensuivit. Hélas! ce fut aux dépends de la race A qui la
leur aurait dû rendre grâce. La gent maudite aussitôt poursuivit
Tous les pigeons, en fit ample carnage, Et dépeupla les
bourgades, les champs. Peu de prudence eurent les pauvres gens, D'accommoder
un peuple si sauvage. Tenez toujours divisés les méchants:
La sûreté du reste de la terre Dépend de là.
Semez entre eux la guerre, Ou vous n'aurez avec eux nulle
paix. Ceci soit dit en passant: je me tais.
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